Comme
je vous l'ai déjà raconté, j'ai eu mon 1/4 d'heure de gloire en étant l'un des gagnants du concours de recette du journal "Le télégramme", et pour le gagnant il y avait le fait que sa recette serait au menu du restaurant pour une semaine, il serait invité à venir lancer l'affaire en cuisine, le premier jour.
Eh bien le jour en question c'était hier, vendredi, j'ai passé la journée avec eux, j'ai adoré, je vous raconte tout ça.
J'avais rendez-vous à 9h30, c'est Manon la second du chef Nicolas qui m'a accueillie, on m'a donné un tablier et des chaussures de sécurité (moment délicat pour trouver une pointure 46...) et intégré à l'équipe du "garde-manger", c'est à dire l'endroit où on prépare les entrées froides et chaudes, les amuse-bouches et les fromages.
Le garde-manger, à gauche Jérémy, à droite Matthieu, en train de préparer des foies gras.
J'ai été cornaqué par Jérémy et Mathieu, on a préparé tout ce qu'il fallait pour faire "ma recette" mais avec cette fois une touche pro, c'est à dire qu'ils l'ont adapté à un service de restaurant :
- Les jaune d'œufs sont cuits sous vide à 62°C pendant 1h30, imaginez un sac plastique de 1 litre de jaune d'œuf, c'est très étonnant, puis ensuite mis dans des pipettes et on "verse" le volume d'un jaune dans l'assiette de service ce qui est évidemment infiniment plus pratique et rapide.
- La mousse de pommes de terre fumée est faite avec de la saucisse aux algues, plutôt que de la fumée comme moi, mais on la sale avec du sel fumé, je ne savais même pas que ça existait...
- Les mouillettes, c'est une seule, plutôt grande, et dorée dans du beurre clarifié.
J'ai passé la matinée avec Jérémy a préparer tout ça, dans des proportions assez hallucinantes pour un amateur, ce qui donne une conversation un peu comme ça avec Jérémy :
Lui : On mets combien de crème ?
Moi : je ne sais pas trop, disons qu'avec un pot de 200 ml, je fais 6 parts.
Lui : bon on va commencer petit avec 3 litres de crème, non plutôt 4 litres (!!) en fait, et on ajoutera si nécessaire.
Et me voila a verser 4 litres de crème dans une casserole 4 fois plus grosse que la plus grosse des miennes !
Tout en préparant, c'est passionnant de voir ce qui se passe tout autour, tout le monde est affairé, prépare, c'est la "mise en place" ce qui veut dire que chacun est en train de préparer des trucs pour le service à venir, ou plus loin encore. J'ai ainsi vu arriver une bonne dizaine de magnifiques homards, qui sont allés presque directement au four.
Premier constat qui m'a surpris : l'ambiance est calme et plutôt sympa, je n'ai pas ressenti cette hiérarchie lourde, à base de "oui chef" toutes les 15 secondes qu'on voit à la télé, même si chacun a sa place, son rôle, son poste. Bon, fatalement, plus on approche du service, vers midi, plus c'est un peu plus tendu, mais personne ne braille ou ne s'engueule. Du moins quand j'étais là...
L'ambiance est calme disait-je, mais chaude, au sens propre, il fait une chaleur terrible autour du "piano" (la grosse cuisinière centrale si vous préférez), en fait ce truc est toujours à plein gaz, et les cuisiniers jouent sur la température en approchant ou éloignant les casseroles des feux. C'est très curieux, vu par un novice, comme système, mais ils sont experts là-dedans.
Seule la pâtisserie, où officie Malika dont
je vous ai déjà parlé, est elle est climatisée, et séparée de la cuisine par une porte toujours fermée.
Juste avant que ne commence le service, tout le monde met une toque, moi compris, et comme c'était la première fois de ma vie que j'en mettais une, ça m'a fait bien sourire.
Une toque, une vraie !
Ah le service justement, si vous n'avez jamais vu, voilà comment ça se passe :
- Arrivent du restaurant, apportés par le personnel de la salle, les commandes des clients, ils disent des "bons".
- Les bons sont donnés à Nicolas (le chef) qui annonce à voix forte ce qu'il faut préparer "2 homards, 3 lieux, 8 œufs, etc..." (je dis "œuf" parce que dans ce cas précis c'est ma recette qui a été commandée, et j'ai du taf urgentissime tout d'un coup).
- Chaque poste confirme qu'il a entendu ce qui le concerne en répondant (fort) "oui !" et chaque plat est lancé.
- Il y a un endroit stratégique "le passe" où sont posées les assiettes (chaudes) qui vont êtres garnies, Nicolas est d'un coté, et de l'autre il y a un commis qui dresse les assiettes (si il lit ces lignes, qu'il me pardonne d'avoir oublié son prénom). L'assiette est essuyée au vinaigre blanc, pour la faire briller (classe hein ?), avant d'être remplie des différents composants de la recette, par exemple : une petite purée de ceci sur laquelle on pose le principal (viande ou poisson) et qui est ensuite entourée de sa garniture (fort complexe, c'est incroyable le nombre de composants qui sont ajoutés un à un) et ensuite la sauce si il y en a. Cet assemblage au passe est un moment fascinant, c'est un ballet, synchronisé au millimètre, où tout arrive dans le bon ordre, en temps et en heure. Pour eux, c'est normal, le cœur du métier, pour moi, j'en suis baba, je resterai bien des heures à les regarder... (c'est ce que j'ai un peu fait d'ailleurs).
- Une fois l'assiette terminée, Nicolas valide, et si c'est OK il sonne une clochette qui indique aux gens de la salle qu'ils peuvent emmener les assiettes à table (on dit "envoyer"). Je l'ai vu aussi une fois ou deux faire venir l'auteur de l'assiette pour lui montrer un détail, donner un conseil en direct ("fais plus incurvé", "étale plus", etc.).
- Dès que l'assiette est partie, hop ! une ou d'autres sortent du meuble chauffant ou elle sont stockées, et le ballet recommence, et ainsi de suite.
Le passe, à droite debout Nicolas, au premier plan à gauche Manon.
Évidemment mon meilleur moment ça a été d'aller au passe pour monter "mes" assiettes : un coup de vinaigre, un coup de chiffon, du jaune d'œuf à la pipette, de la mousse au siphon, de la ciboulette, une petite brunoise (des tout petits dés, j'adore faire le malin en plaçant un terme technique) de saucisse, un geste ou un regard vers Nicolas, qui surveille tout de toutes façons, pour quêter sa validation, et hop ça part en salle.
5 œufs ! Oui !
Comme à un moment donné je me suis trouvé un peu désœuvré, j'ai pu donner un petit coup de main à Matthieu qui préparait des amuse-bouche : sur une ardoise une minuscule tartelette en brick avec un tartare de lieu, un cromesqui (chic, un nouveau mot) de chou fleur et une rondelle à base de farine de sarrasin et beurre noisette (j'espère que je ne me suis pas trompé dans les détails, car je n'ai pas tout gouté). Bon je relativise, mon boulot a surtout consisté à l'aider a composer les ardoises en y posant les amuse-bouche au bon endroit et à les emmener au passe, mais même ça j'ai bien aimé.
Novice préparant une ardoise d'amuse-bouche.
Au fil du temps, la pression retombe un peu dans la cuisine, l'arrivée des bons s'espace jusqu'à se terminer. Ce n'est pas relâche pour tout le monde, en même temps la pâtisserie est en plein rush pour les desserts.
Puis quand c'est vraiment fini, toutes les tables sont servies, vient le moment du rangement, du nettoyage et, déjà, de la préparation du service suivant.
C'est à ce moment là que je leur ai dit au revoir à tous, et que je suis rentré à la maison, complètement crevé (après un seul service, oui oui, chochotte !) mais complètement ravi. Je crois que je me suis tricoté des souvenirs pour un bon moment, et puis en rentrant à la maison je n'ai parlé que de ça à Nanou pendant au moins 2 jours.
Bilan global : génial, j'ai appris des tas de trucs d'eux.
- On ne se penche pas pour travailler sinon on se ruine dos et le cou (merci Matthieu)
- On travaille de gauche à droite, produit brut, espace de travail, produit fini + 1 récipient "poubelle" à portée de main (merci Jérémy)
- On amène d'abord la crème a ébullition et seulement ensuite on met la saucisse a infuser avant de couvrir de film plastique et laisser infuser (Et moi gros novice, qui mettait la saucisse dans la crème froide et amenait ensuite à ébullition)
- etc. etc.
De gauche à droite donc.
Et en plus, je ne me suis pas coupé, et brulé qu'une seule fois, le top quoi...