Je continue à vous raconter ma vie d'apprenti-boulanger à l 'INBP, me voilà maintenant à mi-parcours de la formation, c'est toujours aussi passionnant et toujours aussi éreintant, ou alors je vieillis, ou les deux... En tout cas, il y a quelques jours nous avons passé le CAP blanc, c'est à dire une sorte de galop d'essai de l'épreuve qu'on aura à passer fin mai.
Ça fait des semaines qu'on révise nos basiques, mais on savait déjà qu'on aurait une liste de produits à sortir (pains, pains spéciaux et viennoiseries), et on a pas été déçus. Il fallait être sur place à 6h, avec beaucoup d'entrain, la demi-journée allait être longue.
Ça commence par 30 minutes en amphi, où on nos remet "la commande", c'est à dire quoi faire, sous quelle forme et combien de pièces, et ensuite à nous de faire tous nos calculs et surtout notre organisation de travail, chronologie et usage du matériel. On sort les calculettes, les fiches recettes, et c'est parti.
La commande :
Pain de tradition française :
- 9 pains grignés de 550g
- 8 baguettes de 350g, dont 4 pains zig-zag fendus
- 12 petits pains de 80g en 3 formes différentes au choix (j'ai choisi "tabatière", "pistolet" et "volcan")
- 4 grosses pièces de 400g, 2 boules lamage au choix, 2 bâtards à 2 coups de lames
Pain complet
- 4 pièces de 350g de pain complet en 2 formes différentes, boules et bâtards
Viennoiseries 1 : Pâte levée (pain au lait cette fois ci)
- 6 navettes à 80g
- 6 tresses à 1 branche de 80g
- 3 tresses à 2 branches "avec le reste de pâte"
Viennoiseries 2 : Pâte levée feuilletée
- 12 pains au chocolat
- 12 croissants
- 12 pains au raisins
Il faut tout calculer, les poids, les durées, les temps de repos, de pétrissage, de pesage, de façonnage, de mise en forme, et surtout surtout, tout organiser pour ne surtout pas être surchargé par moment (la grosse difficulté) et désœuvré à d'autres.
Ensuite c'est la "Prise de possession du tour" (tour = meuble qui se referme, avec un dessus en bois où travaille le boulanger, une sorte d'établi pour lui, voyez sur la photo plus bas) , c'est à dire qu'on s'installe dans le fournil, on sort nos outils et tout ce dont on a besoin, balance, feuilles de cuisson, plaques, grille, etc. Chacun a un pétrin, un batteur, et un étage de four perso, donc pas d'embouteillage, c'est très pratique. Touchante attention : les grands/grandes ont de réservé pour eux les étages supérieurs des fours, inutile que je vous dise où j'étais... 4 étages en tout.
Et à 7h top départ, avec une annonce : "A 13h toute votre production doit être cuite, sortie, et présentée en forme artistique sur votre tour".
Eh ben c'est parti, un grand silence de paroles s'installe dans le fournil, on est tous/toutes à fond, pas le temps de blaguer, atmosphère très concentrée. Pas de grosses angoisses non plus, ce sont des produits qu'on connait, on a nos recettes, la question c'est de ne pas faire une boulette (genre oublier le sel ou la levure, se planter dans une pesée, etc.). les 2 examinateurs se baladent dans le fournil, ne donnent aucune info et ne répondent à aucune question, mais tâtent nos pâtes ici, pèsent un pâton là, mesurent une température de pâte ailleurs. Ils nous la font, et c'est bien normal, "poker face" ou "l'indien", pas une info, un regard, un sourire, un acquiescement ou une grimace/inquiétude ne filtre, malgré nos regards souvent inerrogatifs. On est noté sur tout : tenue, hygiène, comportement, la façon dont on décuve, on enfourne, on gère le boxon, ou pas, sur notre tour... et bien d'autres encore.
Ça se passe plutôt bien pour moi, pas d'erreur de pesée, une certaine régularité de mes produits (mon gros défaut est à peine plus maitrisé) et je ne fais qu'une seule boulette : au moment d'enfourner mes baguettes je me rends compte que j'ai oublié d'en faire 4 de fendues pour le pain zig-zag (se rendre compte de ça au moment de poser les pâtons sur le tapis, on se sent très très distrait, mais hélas c'est bien moi). Bon, pas trop grave, plan B, je fends 4 baguettes sur le tapis à la lame, ce sera bien moins élégant, mais au moins le "fendu" sera là.
Ça commençait à prendre une bonne tournure, lorsque j'ai été trahi par le matériel : au moment d'enfourner ma viennoiserie l'armoire de pousse, imaginez un énorme frigo dont la température est de 30° et le taux d'humidité de 98%, le l'ai trouvé à 20° (au lieu de 30) et 44% d'humidité (au lieu de 98) alors évidemment tout est sec et crouté, et sur le coup je pense, foutu... Les 2 examinateurs arrivent et constatent les dégâts, et ma mine déconfite. La chambre est tombée en panne au milieu de la matinée. Pas d'inquiétude me disent-ils vous ne serez pas évalué de ce fait sur le volume de vos viennoiseries. J'accuse le coup, et mon moral tombe dans mes chaussettes. On transfère tous mes produits dans une autre chambre et au passage je les dore avec un mélange dorure+eau pour les réhydrater. Conséquence, je me prends 1h30 dans la vue, moi qui terminait pratiquement. Et puis comment vont-ils pousser avec ce décalage ? Je poireaute, assez dépressif, et j'attends que ça regonfle, si ça veut bien... Et en fait, ça veut, du coup je cuit plaque par plaque, et ils ne sont pas si mal que ça. Ouf !
Comme demandé, chacun dispose ses produits sur son tour, l'examinateur vient nous voir, et commence un long et pointu débriefe : il compte toutes les pièces, vérifie les cuissons, les gouts, les colorations, on coupe une pièce de chaque dans l'épaisseur pour vérifier la mie, sa texture, son gout, l'alvéolage. Tous les bons et mauvais points sont indiqués et notés. Au résultat : assez bon score pour mon complet, mes petits pains, et ma viennoiserie (comme quoi l'important est de ne jamais désespérer) , moyen score pour mes pains, un chouia trop cuits, et mauvais score pour mes tresses (je suis nul là dessus, c'est affligeant).
Ça ressemblait à ça :

Vous remarquerez sur la photo ma collègue de la seconde vague en pleine production, en haut à gauche l'armoire de pousse maudite ! et en bas à droite le couteau avec lequel j'ai pensé un temps m'ouvrir les veines :-)
Comme la photo ne rends pas très bien, vu l'étendue des produits, voici une
très courte (9sec) vidéo panoramique.
Prochaine étape, la vraie épreuve le 29 mai...
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